Comment l’architecture doit-elle évoluer face aux défis climatique et écologique, et à la crise des ressources ? Alors que les étudiants des ENSA sont en lutte, comment la profession s’ancre-t-elle dans ces enjeux ?
- Philippe Rahm architecte, auteur d’un dossier sur l’architecture suisse allemande, paru dans la revue « Architecture d’aujourd’hui », n° 299, juin 1995.
- Christine Leconte Architecte, urbaniste, présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes
Parce qu’ils ont conscience que leur situation illustre le manque de moyens donnés aux architectes pour affronter les enjeux sociaux et environnementaux contemporains, les étudiants des écoles nationales supérieures d’architecture se mobilisent depuis début février, bloquant établissements et enseignements.
Alors que le secteur du bâtiment est l’un des principaux responsables du réchauffement climatique, l’architecture est un véritable levier dans la lutte contre le réchauffement climatique. Comment les architectes affrontent-ils cette problématique ?
L’architecture a une responsabilité dans la lutte contre le changement climatique et la décarbonisation du bâtiment pourrait induire de nouvelles valeurs pour l’architecture du XXIe siècle.
Comment penser une architecture plus respectueuse de l’environnement ? Et quid de la formation pratique des jeunes générations d’architectes autour de ces questions ?
À l’échelle mondiale, le secteur du bâtiment et de la construction génère à lui seul 39 % des émissions de gaz à effet de serre. Pour l’Europe, c’est quasiment la moitié. L’objectif est donc simple pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut baisser les consommations d’énergie et réduire les coûts liés à la facture d’énergie et l’empreinte carbone des constructions. Et pour y parvenir, les architectes ont donc un rôle majeur à jouer, en réinterrogeant d’abord leurs pratiques et en améliorant le confort thermique pendant les hivers ou les étés caniculaires. C’est ce que réclament en tout cas des étudiants en architecture qui se mobilisent depuis plusieurs semaines pour demander des états généraux afin de discuter des enjeux sociaux et environnementaux au sein de leurs écoles. Pourquoi l’architecture et le climat sont liés ? Comment les bâtiments peuvent répondre aux contraintes climatiques ?
Un manque de moyens pour les étudiants en architecture
Pour Victor Raimbaut, futur architecte, l’écologie a pris une place majeure dans son domaine : « Il y a surtout des problèmes d’un point de vue des bâtiments qui sont très vétustes. Nous avons aussi des voyages qu’on doit financer nous-même, des enseignants qui sont sous-payés, des logiciels de modélisation qui coûtent cher. Nous avons tout un tas de problèmes qui ne nous permettent pas de nous préparer sereinement à cette transition écologique. L’écologie dans l’architecture se rapproche encore de l’artisanat, de l’expérimentation. »
Repenser l’approche pédagogique
Le mouvement ‘ENSA en lutte’ réclame des états généraux pour l’ensemble de l’architecture : « On réclame d’ici mi-mai des états généraux avec des membres du ministère de la Culture, qui est notre ministère de tutelle principal et des membres du ministère de l’Enseignement supérieur. » Pour rappel, le réseau des écoles d’architecture, ce sont 1 700 enseignants et 20 000 étudiants. Pour Christine Leconte, enseignante en architecture : « Nous avons un énorme besoin de formation dans des domaines où notre métier va énormément évoluer. Avant, nous n’utilisions que des matériaux neufs, maintenant, nous devons faire de la réparation, de la réhabilitation, utiliser du réemploi et donc il faut former différemment, avec d’autres approches pédagogiques. »
Le rôle de l’architecture dans la transition écologique
Aujourd’hui, les architectes sont aux avant-postes dans le secteur du bâtiment sur les questions liées à l’écologie. Pour Christine Leconte : « Ce serait pratique de tout faire reposer sur les épaules des architectes. Mais nous sommes une chaîne, une filière. La filière du bâtiment, c’est aussi une question d’intérêt général. La qualité de nos villes, de nos logements concerne tout le monde. Les architectes sont là pour essayer de garantir ce qui est fait pour l’intérêt général, c’est une forme de responsabilité, mais qui est éminemment collective. »
Une véritable révolution à mettre en place
Pour Philippe Rahm, architecte et auteur, il faut qu’il y ait une véritable révolution qui se mette en place dans le monde de l’architecture sur les questions écologiques : « Aujourd’hui, il faut prendre ces questions énergétiques comme une partie du projet. Jusqu’à présent, les architectes l’ont plutôt pris comme une nouvelle norme, un peu ennuyante, ou alors comme quelque chose de technique qui est délégué aux ingénieurs. Les architectes doivent révolutionner nos valeurs esthétiques en intégrant la question énergétique. Quelle forme de bâtiment, quels matériaux pour avoir moins chaud en été et plus chaud en hiver ? Comment choisir des matériaux qui viennent rafraîchir en été ou réchauffer en hiver ? Ce sont des questions que nous avons complétement oubliées au fil des décennies. »
Le bâtiment, 39 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial
Le secteur du bâtiment représente 39 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. En Europe, cela représente 23 %. Pour Christine Leconte : « Ce chiffre représente les consommations et la construction. Mais le chiffre qui m’interpelle de plus, c’est que le béton représente 9 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. La projection d’ici 2030, c’est 12 %. Nous sommes en augmentation, comme pour le nombre de climatiseurs qui génèrent aussi des émissions de gaz à effet de serre et qu’on projette à quatre fois plus en 2050. Nous sommes donc en complète contradiction avec nos objectifs. »
Les trois principales crises qui touchent le bâtiment
Christine Leconte identifie trois crises majeures qui touchent le secteur du bâtiment : « Il y a le dérèglement climatique où il faut à la fois adapter les logements et atténuer les émissions de gaz à effet de serre. Ensuite, les ressources où il faut gaspiller moins de ressources et de matériaux, par exemple, l’eau et le sable pour le béton, mais aussi le zinc, le cuivre, le pétrole. Ce sont des matériaux qui ont tendance à diminuer, qui ne sont pas renouvelables. Il faut aller vers des matériaux renouvelables, et ça, c’est aussi revenir à l’essence même de l’architecture. 15 % du patrimoine de la France est en terre, et c’est un matériau extrêmement intéressant au niveau de son inertie thermique, dans la manière dont il capte la chaleur. Et le troisième point, c’est la biodiversité, où il faut faire attention à moins artificialiser les sols, à gérer le vivant, à comprendre l’importance du sol dans la captation du carbone. »
Avec :
- Philippe Rahm architecte, auteur du livre Le style anthropocène, Head Publishing
En open access sur le site de l’éditeur - Christine Leconte, architecte, enseignante en école d’architecture à Versailles, Présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes. Co-autrice de Réparons la ville , avec Sylvain Grisot, éditeur Apogée.
- Victor Raimbaut, étudiant en master à l’ENSA Paris Val-de-Seine, actuellement en alternance.
Pour en savoir plus, écoutez l’émission…